Bobo en Lauragais

Comédie écrite en 2008

"Pour ce qui est de "Bobo en Lauragais": Je ne trouve pas cela si proche de Molière que ce que tu m'as annoncé. Chez Molière, on rit de tout. Ici, aucun des personnages ne donne envie de rire. Ce sont tous des affreux. Ce texte ne me semble pas comique, mais bel et bien tragique. A aucun moment je n'ai pu respirer sereinement pendant la lecture. Tous sont obsédés par l'argent ou l'apparence, ou les deux. Ils tournent en rond dans ces préoccupations. Non, vraiment, c'est un texte dur, vivement critique du grand capital et de la mentalité dominante qui prône, sans avoir l'air d'y toucher, l'individualisme. Cela peut se monter avec légèreté, sans doute, mais il est une énorme hystérie chez chacun des protagonistes, qui me fait imaginer une grande tension dramatique entre tous."

 Nicolas Marty, Théâtre Avant-Quart

Comédie de moeurs et de caractère qui campe le portrait d'un bobo écolo s'installant dans un village du Lauragais. Monsieur Bobo va découvrir le monde rural à ses dépens...pour la plus grande joie du spectateur ! Sa naïveté, sa confiance aveugle envers autrui vont faire de lui une dupe...On est censé en rire, mais comme nous dit très finement Musset, c'est "lorsqu'on vient d'en rire qu'on voudrait en pleurer."

Durée : 1heure et quart

9 personnages masculins, 2 personnages féminins

Personnages

LE CHAUFFAGISTE, LE PISCINISTE, MONSIEUR BOBO, LE MACON, LE PAYSAGISTE, MANON, fille de Mr et Mme Bobo, MADAME BOBO, LE PUISATIER, LE SOURCIER,VINCENT, fils du maire, LE MAIRE, LE PORTE SERVIETTE.

 
 

Acte I

Scène 1

LE CHAUFFAGISTE, LE PISCINISTE   

Le pisciniste  attend devant la maison de Mr Bobo. Arrive le chauffagiste. Tous deux sont en habit de travail.

LE CHAUFFAGISTE -  Ah, vous aussi, vous aviez rendez-vous ?

 LE PISCINISTE  - Oui, je suis arrivé plus tôt pour repérer les lieux pour la pose d’une piscine…

LE CHAUFFAGISTE – Moi, c’est pour l’installation d’un chauffage solaire.

LE PISCINISTE, parlant plus bas  - Pour nous, c’est un chantier qui peut rapporter gros.

LE CHAUFFAGISTE – Oui, en effet. Notre client vient d’acheter cette maison qu’il compte bien restaurer. Et il a les moyens de réaliser ses projets. Si tous étaient comme lui, ce serait bon pour nos carnets de commande !

LE PISCINISTE, l’arrêtant - Si tous étaient comme lui, dites-vous ? Ah non ! Sa femme m’a l’air d’une pinailleuse qui fouinera dans nos affaires et qui voudra comprendre le pourquoi du comment.

LE CHAUFFAGISTE, hochant la tête en signe d’assentiment – C’est vrai qu’elle n’a pas l’air des plus faciles mais lui, si l’on sait bien le prendre, il paiera rubis sur ongle.

LE PISCINISTE – Pour moi, ce qui importe, c’est qu’un client sache apprécier le travail bien fait, qu’il soit content de mes services et que je puisse l’imaginer plonger dans sa piscine bronzé et souriant. Le travail reconnu, c’est là je crois la meilleure récompense.

LE  CHAUFFAGISTE – Bien sûr, rien ne vaut un client satisfait. Mais il nous faut bien vivre ! (Plus bas, se rapprochant du pisciniste) Mr Bobo me paraît être un zigoto loin des réalités. Mais il a les moyens et je préfère un tel client plutôt qu’un bricolo qui dit connaître tout du métier !

LE PISCINISTE – Je suis d’accord. Il n’est pas pires enquiquineurs que ces clients qui disent connaître le métier ! Mais le travail bien fait vaut bien pour moi tout l’or du monde.

LE CHAUFFAGISTE – Pourtant vous ne refusez pas l’argent versé sur votre compte ! (L’air convaincu) Mais il est vrai que notre meilleure publicité est le travail que nous rendons, que les travaux que nous ferons chez lui nous donneront d’autres chantiers. Rien ne vaut le « bouche à oreille » !

LE PISCINISTE – Oui, oui, sans doute. (Tournant la tête) Tiens, justement, voilà notre client !

 

Scène 2

LE CHAUFFAGISTE, LE PISCINISTE, MONSIEUR BOBO

Mr Bobo entre en scène, en costume de ville.

MONSIEUR BOBO -  Alors messieurs ? Où en êtes-vous de nos projets ?

LE PISCINISTE – Pour moi, tout est chiffré. Votre devis est déjà prêt.

LE CHAUFFAGISTE – Le mien est prêt aussi.

MONSIEUR BOBO – Bien, bien. Excusez mon retard. Mais j’ai dû m’arrêter en chemin pour m’acheter une tenue de chasse. N’êtes-vous pas chasseur vous aussi ? (Les deux hochent la tête) Ah bien, entre chasseurs, la gêne n’existe pas ! Et si j’enfilais ma tenue pour avoir votre avis ?

LE CHAUFFAGISTE – Pourquoi pas ! Un conseil est toujours bon à prendre !

MONSIEUR BOBO – Je vous demande une minute.

LE CHAUFFAGISTE – Oh, prenez votre temps !

Mr Bobo sort chercher sa tenue qui est restée dans sa voiture.

LE PISCINISTE, se tournant goguenard vers le chauffagiste – S’il faut passer par là, va pour la chasse !

LE CHAUFFAGISTE (tout bas, tout aussi goguenard) – Je crains le pire !

LE PISCINISTE, riant - Quel zigoto !

Monsieur Bobo revient, habillé en tenue de chasse, en se pavanant comme un coq.

 MONSIEUR BOBO – Eh, bien, messieurs, qu’en dites-vous ?

LE PISCINISTE – Magnifique ! Cette tenue vous va bien. (Tâtant le tissu de la veste avec une moue approbatrice) Et de bonne qualité ! Une pareille étoffe vous protégera contre vent et pluie…

MONSIEUR BOBO, torse bombé - Ceci n’est que la veste capitonnée contre le froid. (Au chauffagiste) Mesurez l’épaisseur ! Cela vaut bien une laine polaire ! (Il fait tâter la veste au chauffagiste, puis il l’entrouvre brusquement) Et voilà le gilet ! Voyez un peu sa coupe ! Avec poches latérales, gibecière intégrée et cartouchière ventrale !

LE CHAUFFAGISTE, amusé – En effet, redoutable !

MONSIEUR BOBO, content du compliment – Enfin, voila mes bottes en peau de daim doublées de peau de mouton !

LE PISCINISTE, moqueur – Avec de telles bottes, vous irez loin !

MONSIEUR BOBO, radieux – N’est-ce pas ? (Donnant une bourrade au pisciniste) Vivement l’ouverture ! (S’avisant brusquement) Mais nous ne sommes pas là pour parler de la chasse ! Si nous parlions de nos affaires !

LE PISCINISTE, sortant une chemise de son bleu de travail et adoptant un ton professionnel – Justement, je voulais vous montrer les plans de la piscine, voir avec vous l’implantation dont nous avions parlée et voir surtout l’emplacement du drain que nous…

MONSIEUR BOBO, tâtant ses poches - Une minute, je vous prie ! Où sont donc mes lunettes ? (Il farfouille dans ses poches, soulève sa casquette, la tend au chauffagiste qui s’en saisit, la lui reprend, finit enfin par trouver ses lunettes qu’il pose sur son nez) Mille excuses, mais sans ces satanées lunettes je suis comme une taupe.

LE PISCINISTE, montrant à Mr Bobo le plan de la piscine – Donc, comme je vous disais, il nous faudra creuser ici pour y poser la coque…

MONSIEUR BOBO, surpris – La coque ? Quelle coque ?

LE PISCINISTE, patiemment – La coque de la piscine ! Celle dont je vous ai parlée la fois dernière…

MONSIEUR BOBO – Une coque ! Je ne veux pas d’une coque ! Ce sont les noix qui ont une coque !

LE PISCINISTE, impatienté – Mais vous étiez d’accord pour une coque ! (Ouvrant son catalogue) Voyez vous-même ! (Il lui montre une page) N’est-ce pas cette coque que vous aviez choisie ?

MONSIEUR BOBO, prenant le catalogue grand ouvert et y mettant le nez – Ah bien ! C’est très exactement ce que je veux. Va pour la coque en forme de haricot ! (L’air brusquement rêveur). Mais j’aimerais une coque qui s’inscrive dans un terrain paysagé, si possible à l’abri du vent afin que l’eau de la piscine reste assez tiède…

LE CHAUFFAGISTE, soudain intéressé et arrêtant le pisciniste – Une minute, je vous prie ! (Se tournant vers Mr Bobo)Votre eau de la piscine,  vous pensez la chauffer ?

MONSIEUR BOBO, l’air hésitant – Oui. Cela est possible ?

LE CHAUFFAGISTE – Tout est possible. Mais dans ce cas, il me faudra poser un autre panneau solaire. Ainsi chauffée, votre eau sera toujours au bon degré. Imaginez : vous barbotez tranquille dans une eau tempérée et vous voilà sous les Tropiques ! Ne reste plus qu’à planter un palmier !

LE PISCINISTE – A ce sujet, en parlant des Tropiques, grâce au revêtement blanc sable que vous avez choisi, votre eau sera couleur lagon.

MONSIEUR BOBO, émerveillé – Ah, bien. Couleur lagon. Voilà qui ne manquera de charme. Je crois d’ailleurs que c’est tendance…

LE PISCINISTE – C’est vrai. Les people en raffolent.

MONSIEUR BOBO, émerveillé – Les people ? Ah bien, d’accord pour la couleur lagon ! (En aparté et l’air soudain préoccupé) Me reste à contacter l’entrepreneur de maçonnerie que vous m’avez recommandé pour le terrassement de la piscine et bien sûr un paysagiste pour agrémenter ses abords !

LE CHAUFFAGISTE – La maçonnerie est bien sûr capitale, de même qu’un jardin soigné. Mais vous devez songer d’abord, monsieur, aux économies d’énergie. Sommes-nous toujours d’accord pour notre installation ? (Il lui montre ses plans)

MONSIEUR BOBO, le nez sur les plans – Oui, tout me semble bien cadré. Reste à chiffrer le panneau pour la piscine…

LE CHAUFFAGISTE – Ce sera fait dès aujourd’hui. Vous n’aurez rien à regretter.

LE PISCINISTE  - Une piscine bien chauffée, voilà ce qu’il vous faut !

LE CHAUFFAGISTE – Sans faire appel à une énergie propre, pas de confort ! Vous avez eu mille fois raison d’opter pour le solaire.

LE PISCINISTE – C’est comme pour la piscine. Pas de détente sans piscine !

MONSIEUR BOBO, l’air réjoui – Oui. En effet, c’est vrai. Je crois, sans être fanfaron, avoir fait des bons choix !

LE CHAUFFAGISTE – Il n’y a pas de meilleurs choix !

LE PISCINISTE, en aparté – Nous pourrions voir mon devis ?

MONSIEUR BOBO – Bien sûr !

LE CHAUFFAGISTE, à voix très haute – Et pour le mien, je rajoute un panneau !

MONSIEUR BOBO, cordialement – Messieurs, passons dans mon bureau pour étudier tout ça !

Ils entrent dans la maison

LE PISCINISTE, qui entre le dernier – Au fait, pour la piscine il faudra penser à …

 

Acte II 

Scène 1

LE CHAUFFAGISTE, LE PISCINISTE, LE MACON, MONSIEUR BOBO  

Le chauffagiste, le pisciniste et Mr Bobo sortent tous trois de la maison.

 

MONSIEUR BOBO – Messieurs, tout est réglé !

 

LE CHAUFFAGISTE, en se frottant les mains – Vous verrez, vous serez pleinement satisfait quand les travaux seront finis.

 

MONSIEUR BOBO, préoccupé – La piscine devra être prête dès ce printemps. Ma femme y tient beaucoup. Elle aimerait emménager à cette période.

 

LE PISCINISTE – Je dois pouvoir respecter ce délai.

 

LE CHAUFFAGISTE, prenant à témoin le pisciniste – A cette saison, vous inviterez vos amis. Rien ne vaut un week-end barbecue !

 

MONSIEUR BOBO, interrogateur – Ah, oui ? Cela se fait dans la région ?

 

Les deux hochent la tête.

 

LE CHAUFFAGISTE – Ici, en Lauragais, on aime la fête !

 

MONSIEUR BOBO, enthousiaste – Va pour les barbecues ! D’ici là, tout sera arboré, le cadre s’y prêtera d’autant.

 

 LE PISCINISTE – Ca, c’est l’affaire d’un paysagiste !

 

MONSIEUR BOBO, soudain rêveur -  Je lui dirais d’installer une fontaine en forme de nymphette avec un jet qui coulera dans la piscine…

 

 LE PISCINISTE, pouffant de rire – Ah, je vois ça d’ici !

 

MONSIEUR BOBO, prenant soudain son bras – Puis-je compter sur vous pour la fin mai ?

 

LE PISCINISTE, patiemment – Je vous l’assure, les délais seront respectés.

 

MONSIEUR BOBO – J’espère que vous tiendrez vos dates, que tout sera comme j’imagine.

 

LE CHAUFFAGISTE, en chœur avec le pisciniste – Vous n’aurez rien à regretter.

 

MONSIEUR BOBO, tournant la tête – Justement, voilà le maçon que j’ai appelé tout à l’heure.

 

Entre le maçon

 

LE MACON – Alors, Mr Bobo, avez-vous réfléchi à mes propositions ? Il y a beaucoup de choses à voir, à commencer par le bâti ! Que fait-on pour le mur du fond ? On le remonte en pierre ou en moellons ? Et pour les combles, on prévoit des fenêtres ou comptez-vous faire poser des velux ? Dans ce cas-là, il faudrait contacter le couvreur ! Par contre, si on supprime la cloison dans le séjour, pensez à un nouveau carrelage ! A ce sujet, quant à toucher aux murs, avez-vous choisi votre mode de chauffage : géothermique, solaire ? Je ne vous parle ici que du gros œuvre dans la maison… Pour l’extérieur, êtes-vous toujours sur votre idée de récupération des eaux pluviales ? Si oui, sachez que le terrain est argileux et qu’il faudra creuser des drains, d’autant si vous posez une piscine ! Si oui, il nous faudra prévoir le local technique (peut-être un pool house) le terrassement, la location de la pelleteuse…Evacuez la terre. Au fait avez-vous une décharge dans le coin ?

 

MONSIEUR BOBO, assommé de questions et s’épongeant le front – Euh ?

 

LE CHAUFFAGISTE, vaguement ironique – Que de questions !

 

LE MACON, sentencieux – Le secret d’un chantier réussi consiste à tout anticiper et donc à tout prévoir. Mais pour cela, il faut savoir précisément ce que veut le client. Aucun détail n’est superflu.

 

MONSIEUR BOBO – En somme plus on est clair, plus on obtient ce que l’on veut.

 

LE MACON – C’est ça. Vous avez pu le vérifier sur mon dernier chantier. C’est en voyant le boulot fait qu’on se fait une idée.

 

MONSIEUR BOBO- Oui, en effet.

 

LE MACON, toujours aussi sentencieux - Ainsi si l’on s’appuie sur de bonnes fondations, sur des murs montés au cordeau, le carreleur, le chauffagiste, l’électricien ou le plombier exerceront sans mal leur savoir-faire. Voilà pourquoi le rôle du maçon est primordial.

 

LE PISCINISTE, piqué au vif – Vous oubliez que poser une piscine n’est pas à la portée du tout venant. Il s’agit de la mettre à niveau et cela avec un laser, d’assurer l’étanchéité absolue, de faire la chasse à toutes les fuites… Tout ce travail méticuleux demande adresse et précision.

 

LE CHAUFFAGISTE, plaidant pour lui – C’est oublier aussi l’importance d’une bonne installation de chauffage. Que deviendraient vos murs dans une maison s’ils n’étaient pas chauffés ? L’humidité suinterait des plâtres, une sensation de froid s’insinuerait chez l’habitant…

 

LE MACON – Sans doute. Mais sans murs sains, sans bonne isolation….

 

LE CHAUFFAGISTE – Justement, c’est en maintenant un chauffage de qualité que l’on garantit un vrai confort.

 

LE PISCINISTE – Je maintiens que poser une piscine relève du grand art !

 

LE MACON, affrontant les deux – Et moi je dis…

 

 

Les trois s’affrontent comme des coqs

 

 

MONSIEUR BOBO, s’interposant -  Messieurs, messieurs, je vous en prie ! (Il s’interpose) Chaque corps de métier a sa propre valeur. C’est en réunissant les savoir-faire qu’on restaure sa maison. (Au maçon, sur un ton conciliant) Pourriez-vous patienter un instant ? (Aux pisciniste et chauffagiste) Je ne vous raccompagne pas, messieurs. A très bientôt.

  

Le chauffagiste et le pisciniste sortent en discutant fort

 

MONSIEUR BOBO, tout souriant  - Enfin, nous voilà seuls ! (Se rapprochant du maçon) Nous restons entendus que vous restez le maître d’œuvre dans l’aménagement de ma maison ! (Lui tapotant l’épaule) Mais oui !

 

LE MACON, ironique – Qui d’autre pourrait l’être ?

 

MONSIEUR BOBO, vaguement conciliant – Je ne vois pas grand monde. (Soudain préoccupé) Mais dites-moi, pour le bâti de la face nord, un mur en pierre me coûterait combien ?

 

LE MACON, hésitant – Cela m’est difficile de vous donner un chiffre…Mais à coup sûr plus cher que des moellons ! (Tout bas, se penchant vers Mr Bobo) Cela dépend du style que vous voulez donner à la maison !

 

MONSIEUR BOBO – Du style ? Mais le meilleur qui soit ! Enfin, disons, celui de la région !

 

LE MACON (argumentant) – Voilà pourquoi les combles doivent être pourvus de trois fenêtres au pourtour briqueté !

 

MONSIEUR BOBO – Ah, oui, peut-être… (Rêveur) Un pourtour briqueté… (Préoccupé) Pour le chauffage, je crois savoir que le solaire…

 

LE MACON (L’interrompant) - …est le meilleur chauffage qui soit ! Mais dans les combles, il nous faudra prévoir la place pour le chauffe-eau solaire !

 

MONSIEUR BOBO – Pour l’extérieur, je compte récupérer les eaux pluviales et poser une piscine…

 

LE MACON, notant sur un carnet et énonçant à voix haute – Drains et terrassements. Terre à évacuer. Chape et carrelage autour de la piscine. On a donc dit trois fenêtres à ouvrir dans les combles. Le mur du fond à monter tout en pierre. Ah, que fait-on de cette cloison dans le séjour ?

 

MONSIEUR BOBO -  On la supprime !

 

LE MACON, continuant à énumérer – Donc un carrelage pour le séjour. Une benne pour les gravats qu’il nous faudra évacuer.

 

MONSIEUR BOBO, s’avisant brusquement -  Mais dites-moi, combien va me coûter tout ça !

 

LE MACON, rassurant – Soyez sans crainte, j’ai tout noté. Mon devis sera prêt dans deux jours ! (Tout bas, comme en catimini) Vu l’importance du chantier, je pourrais faire une ristourne mais il n’en parle pas !

 

MONSIEUR BOBO – Ah, bien ! Je vois que nous nous comprenons. J’attends donc le devis.

 

 

Il raccompagne le maçon qui sort de scène.

 

 

Scène 2

 

LE PAYSAGISTE

MONSIEUR BOBO 

 

Le paysagiste et Mr Bobo entrent en scène

 

LE PAYSAGISTE – Bon, voyons ce terrain que je devrais paysager !

 

MONSIEUR BOBO, faisant un geste large -  Il est là devant vous !

 

LE PAYSAGISTE, sifflant – Ah oui, je vois. Y’a de quoi faire. Voyons, quels arbres aimeriez-vous planter ?

 

MONSIEUR BOBO, levant les bras au ciel – Des palmiers ! J’ai toujours rêvé d’une piscine à l’ombre de gros palmiers où je siroterai un jus d’orange glacé !

 

LE PAYSAGISTE – Je vois. Vous comptez donner un air méditerranéen autour de votre piscine. Dans ce cas il faudrait planter des oliviers, un pin, des cyprès…

 

MONSIEUR BOBO, l’interrompant – Oui, c’est exactement ce que je voudrais. Mais plus encore, j’aimerais…voyons, mettre ma griffe sur cet agencement de la nature, personnaliser si l’on veut ce qui sera un jour un jardin d’agrément…

 

LE PAYSAGISTE –  Soit. Si je comprends bien, vous voulez en somme un jardin qui vous ressemble. Mais avez-vous quelques notions d’agencement de l’espace naturel ?

 

MONSIEUR BOBO – J’ai un faible pour le jardin à la française.

 

LE PAYSAGISTE – Ah oui ? Un jardin à la française. Il faudra donc mettre l’accent sur la perspective.

 

MONSIEUR BOBO – Oui. Planter les oliviers dans un alignement parfait !

 

LE PAYSAGISTE – La perspective a certes son importance, mais pour paysager il faut compter avec la géométrie dans l’espace. Voyons, (il crayonne sur un plan sorti de sa poche) où comptez-vous placer vos oliviers ?

 

MONSIEUR BOBO, montrant du doigt – Ma foi, là. Là et là.

 

LE PAYSAGISTE, hochant la tête – Et vos palmiers ?

 

MONSIEUR BOBO – Autour de la piscine !

 

LE PAYSAGISTE, faisant la moue – Il faut d’abord creuser et voir si nous ne tombons pas sur de la roche. Le sol est pauvre ici et très calcaire. Il faudra faire une analyse du sous-sol et abonder sans doute le sol en bonne terre et en terreau.

 

MONSIEUR BOBO, déconcerté – Ah bien ! J’avais toujours pensé qu’un arbre pousse dès qu’on le plante et quelle que soit la terre qui le nourrit !

 

LE PAYSAGISTE, sentencieux - La terre est certes déterminante mais l’eau ! Avez-vous songé à son apport en minéraux sans lequel rien ne pousse ?  Avez-vous conscience que tous ces arbres il faudra les arroser ? Et votre pelouse – je suppose que  vous sèmerez une pelouse – elle aussi elle aura besoin d’eau ! Et vos massifs de fleurs ? Et vos tomates, et vos salades pour votre potager ?

 

MONSIEUR BOBO, éberlué – Ah, je croyais avoir pensé à tout ! (Songeur) Mais il est vrai que l’eau est la vie même !

 

LE PAYSAGISTE – Il serait bon à ce sujet de voir si vous avez de l’eau ici. (Il frappe du pied et montre avec un doigt le sol). Là, sous nos pieds ! Pour le savoir, je connais un sourcier qui peut vous dire si vous avez de l’eau. Si oui, le creusement d’un puits serait indispensable.

 

MONSIEUR BOBO, vaguement contrarié – Un puits ? Moi qui voulais une fontaine !             

  

LE PAYSAGISTE, riant -  Mais vous pourrez avoir le puits et la fontaine ! Et pour chacun, une pompe pour tirer l’eau. A mon avis (Il jette un œil vers le toit) vous pourriez même canaliser les eaux pluviales qui alimenteraient le puits, ce qui serait pour vous économique…

 

 MONSIEUR BOBO, enthousiasmé – Et même écologique !

 

LE PAYSAGISTE, finement – Je vois : Monsieur paraît sensible à l’avenir de la planète.

 

MONSIEUR BOBO, confus – Ca se voit à ce point que je suis attentif au devenir de notre monde ?

 

LE PAYSAGISTE – Quand on attache comme vous autant de prix à la géométrie dans l’espace et à l’écologie, on vit pour ainsi dire en harmonie avec son milieu naturel.

 

MONSIEUR BOBO, heureux -  C’est vrai. Voilà pourquoi il faut que ma maison s’inscrive dans l’écrin vert d’un paysage pensé. (Fronçant brusquement les sourcils) Mais j’étais loin d’avoir tout mesuré ! La terre, l’eau, la roche maintenant. Le puits, les eaux pluviales !

 

LE PAYSAGISTE – Rien là qui soit insurmontable. Avant que de paysager, il faut seulement nous assurer que les bonnes conditions sont requises. Je peux d’ores et déjà vous mettre en relation avec un puisatier et le sourcier dont je vous ai parlé…

 

MONSIEUR BOBO – Ah oui ! Vous êtes bien aimable. (Il lui serre la main) Entendu comme ça. J’attends aussi  votre devis. Au revoir. A bientôt !

 

 

Acte III

 

Scène 1

 

MONSIEUR BOBO, en tenue de jardinier avec un chapeau de paille sur la tête et un râteau à la main. MANON, sa fille, vêtue d’un jean et d’un tee-shirt et chaussée de baskets. MANON entre en scène en se déhanchant, MP3 aux oreilles. Elle mâchouille un chewing-gum en esquissant un rap.

 

MONSIEUR BOBO, s’approchant de Manon en criant – Pourrais-tu arrêter ta musique de sauvage ?

 

Manon, qui n’a pas vu son père, continue à se déhancher à l’écoute de sa musique.

 

MONSIEUR BOBO, lui tapotant l’épaule tout en criant – Oh, oh, Manon ? M’entends-tu ?

 

MANON, ôtant son MP3, pouffant de rire en le voyant – Eh, j’y crois pas ! Je rêve !

 

MONSIEUR BOBO – C’est ça, moque-toi de moi !

 

MANON, pouffant de plus belle et présentant sa main pour qu’il la tope – Tope-la, papa ! Tu m’as tout l’air d’un vrai bouffon !

 

MONSIEUR BOBO, vexé – Un bouffon ? C’est à croire que tu n’as jamais vu un homme en tenue de jardinage !

 

MANON, riant de plus belle -  Mais tu t’es vu ?

 

MONSIEUR BOBO – Enfin, que reproches-tu à ma tenue ?

 

MANON, s’approchant de lui – Avoue, sapé comme ça, que même les fleurs se moqueraient de toi ! (Elle continue de rire) Franchement, dois-tu vraiment te déguiser comme ça ?

 

MONSIEUR BOBO, toujours vexé – Au lieu de pouffer bêtement, tu ferais mieux d’aller ranger ta chambre…

 

MANON, en soupirant – Ca y’est, ma chambre ! Il manquait plus que ça !

 

MONSIEUR BOBO – Manon, tu parais oublier que tu te moques de ton père…

 

MANON, se rapprochant de lui – Ouais. Mais tu sais que je te kiffe grave.

 

MONSIEUR BOBO, ravi – Bien, bien. Tu restes ma petite Manon, même si je ne comprends rien à ta musique. Sais-tu au moins que pour ce soir j’ai invité nos voisins proches ?

 

MANON – Ah non ! Pas cool tout ça !

 

MONSIEUR BOBO, exaspéré – Il nous faut bien nous intégrer et ouvrir notre porte !

 

MANON, l’air renfrogné – Moi, à ta place, je zapperais ces parasites !

 

Scène 2

MONSIEUR BOBO, MADAME BOBO, MANON

MADAME BOBO – Ah, il ne manquait plus ça ! Te voilà déguisé comme un jardinier du dimanche ! Ne vois-tu pas que tu en es grotesque et qu’on se moquera de toi dès qu’on t’apercevra dans ton jardin ?

MONSIEUR BOBO –  Je me moque des gens qui se paient ma tête.

MADAME BOBO – Ce ne sera qu’une fois de plus ! Il y a belle lurette que tu faire rire ton monde.

MONSIEUR BOBO – De quel monde parles-tu ?

MADAME BOBO – Des gens de ce village qui ont raison de voir en toi un drôle de zèbre. Je suis moi-même catastrophée par les travaux en cours. Je ne sais plus dans quelle maison je vais finir par vivre. Et j’en ai marre de voir chez moi un défilé interminable d’artisans ! 

MANON – Maman dit vrai. Y se passe pas un jour sans voir une de ces faces de rat… 

MONSIEUR BOBO – Ah toi, Manon ! Assez !

MADAME BOBO – Manon comprend au moins qu’ils cherchent à vendre leur savoir-faire au plus haut prix…Ainsi, peux-tu me dire à quoi peut te servir une piscine, toi qui barbotte dans l’eau comme une tuile ? 

MANON – Et ce paysagiste, c’est du foutage de gueule ou quoi ?

MONSIEUR BOBO, au public – Ah, les voilà main dans la main !

MADAME BOBO – Tu veux apprendre à barboter alors que tu te couvres déjà de rhumatismes ?

MANON – Et t’écrouler dans une chaise longue au beau milieu de ta verdure ?

MONSIEUR BOBO – Décidément, vous ne comprenez rien à rien ! Je veux qu’on sache que je manque de rien, que tout ce qui m’entoure relève du meilleur goût. Je veux en somme que l’on m’envie !

MADAME BOBO – Tu ferais mieux d’aider Manon dans ses études !

MONSIEUR BOBO – Je suis prêt à l’aider si elle décide de travailler sérieusement. Mais je voudrais aussi restaurer ma maison.

MANON, à Mr Bobo – Je parle même pas du puisatier qui devrait plus tarder à se pointer…

MONSIEUR BOBO – Eh oui, un puisatier ! Il faut de l’eau pour arroser son potager 

 
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