Est fou, décrété tel, celui qui pense différemment. Ou qui voudrait plier le monde selon sa volonté, quitte à devoir laisser dans son sillage de sanglantes hécatombes. L’histoire humaine est là pour nous donner tous les exemples qu’on connaît. Alexandre, Attila, Napoléon, Hitler, Staline, pour ceux qui sont des plus fameux. Par fou, je pense aussi à ces déviants dits hérétiques : Luther, Calvin... Ou même à ceux qui, animés d’une foi monstrueuse, furent appelés les fous de Dieu. De tous les fous, ce sont bien sûr les fous d’amour que je préfère. Qui, tenaillés par leur passion, oublient ce qu’est le monde pour ne plus voir qu’en l’être aimé la seule source de leurs joies. Cette folie-là a aussi ses victimes. Qu’on songe à tous ces malheureux qui se croyaient aimés et qui aimaient à la folie ! Hommes, femmes, jeunes ou vieux morts sur l’autel de l’amour fou ! Un prodigieux suicide, quand on y pense. Un génocide qui en victimes dépasse de loin le nombre de morts aux champs d’honneur. Autrement dit, si l’on s'en tient à ce bilan, la folie serait plus prospère dans la fièvre amoureuse que dans l’orgie guerrière !
Du plaisir
A quoi sert le plaisir ? A nous réconcilier avec la vie ! Quand nos sens sont comblés, quand nous avons mangé et bu à satiété, quand nous avons joui, nous n’aspirons qu’à rire, dormir et paresser. Nous voyons tout d’un œil neuf et notre humeur est bienveillante. On peut penser qu’un chef de guerre qui a eu du plaisir sera bien moins enclin à partir au combat ; qu’un politique ayant trouvé satisfaction dans les biens de ce monde aura tendance à repousser une décision liberticide. On peut prétendre donc qu’un plaisir assouvi civilise, quand il ne rend pas plus mol voire nonchalant. On peut aussi penser qu’il mène à l’impuissance. Il faut entendre par là : impuissance à agir, à s’extraire du cocon que tisse le plaisir autour de notre moi. Si par malheur nos sens seuls nous guident, nous pouvons dire adieu à tout esprit critique ou tout discernement. La poursuite du plaisir nous rend non seulement idiots mais malheureux. Et le summum du plaisir se trouve dans sa recherche, non dans son assouvissement.
De l'amour
Aimer, c'est aimer soi en l'autre. Se repaître de l'image que l'autre renvoie de soi. Aimer reposerait sur une immense gratitude que l'on éprouverait pour l'autre. L'amour serait en somme la seule façon de s'accepter puisqu'on serait paré par l'autre de vertus qui nous manquent, auxquelles on finirait par croire tant l'autre croirait lui-même en cette image flatteuse qu'on renverrait de lui. Au cœur de tout amour, Narcisse ferait loi. Aime donc ! Tu oublieras du coup toutes tes imperfections. Tu ne verras en l'autre qu'attraits et séductions. Et l'autre, t'en sachant gré, ne verra plus en toi que perfection. Ce jeu de masques est sans doute illusion. Mais qui te dit que les imperfections que tu voyais en toi n'étaient pas elles-mêmes illusoires ?